Expertise bâtiment : les constatations

Mardi 21 Février 2017

Que ce soit pour donner un avis sur l’état d’une construction dans son ensemble ou sur un désordre précis qui est soumis à son examen, l’expert construction ne peut en aucun cas se prononcer avant d’avoir procédé lui-même aux constatations.

1 – Les objectifs des constatations

Selon le cadre dans lequel l’expertise a été demandée, les constatations peuvent avoir plusieurs objectifs.

 

1.1- Dresser un état des lieux

Un premier objectif est de faire un véritable inventaire de l’ouvrage à expertiser, en notant pour chaque partie d’ouvrage, la qualité d’exécution ou l’état de conservation, d’entretien ou de vétusté.

Cet état des lieux peut être utile, en dehors de toute recherche de l’origine d’un désordre, lorsqu’il est nécessaire d’établir l’état d’un ouvrage à un moment précis : référé préventif avant une construction voisine, vente d’un immeuble, arrêt ou abandon de chantier par une entreprise, reprise d’un chantier après un arrêt prolongé, etc.

L’état des lieux peut constituer le seul objectif de l’expertise, mais il est souvent suivi de phases de recherches plus approfondies.

1.2- Vérifier l’existence et l’étendue des désordres éventuels

Lorsque le propriétaire ou l’utilisateur de l’ouvrage allègue l’existence de désordres, le préalable à toute analyse sur l’origine de ces désordres est d’en vérifier l’existence. Ce qui peut paraître une évidence pose parfois des difficultés pratiques, notamment lorsque les désordres se manifestent de façon intermittente et aléatoire. Il en est ainsi de certaines pannes de matériels contenant des régulations complexes, et l’accroissement constant de la présence de l’informatique dans les constructions ne fait qu’accentuer ces difficultés.

1.2.1- Effectuer des enregistrements sur de longues périodes

L’expert peut être contraint de procéder à des enregistrements sur des périodes relativement longues, pour pouvoir mettre en évidence des défauts de fonctionnements qui ne se manifestent qu’à des moments difficilement prévisibles.

Par exemple, les insuffisances de pression d’eau aux derniers étages d’un immeuble ne se manifesteront que dans certaines circonstances de simultanéité de puisage, dans l’immeuble ou dans le quartier. Et parfois, on ne pourra faire en sorte que les insuffisances se manifestent pendant la réunion d’expertise contradictoire, même si celle-ci a été fixée par l’expert construction à une heure favorable.

1.2.2- Procéder à des mesures inopinées

Dans d’autres cas, et notamment lorsqu’il s’agit de constater des désordres acoustiques liés à l’utilisation d’un équipement ou d’un local, il peut être nécessaire de procéder à des mesures inopinées pour éviter que l’utilisateur indélicat ne veille à limiter les nuisances au moment des mesures. Le caractère contradictoire des mesures, difficiles à maintenir dans ce cas, doit être remplacé par d’autres dispositifs appropriés, tels que la pose d’instruments de mesure enregistreurs.

1.2.3- Permettre la qualification des désordres

L’existence des désordres ayant été vérifiée, il reste à en apprécier la gravité pour que ceux qui ont ordonné ou demandé l’expertise puissent les qualifier au regard des obligations légales ou contractuelles qui s’appliquent à l’ouvrage.

Le cas le plus fréquent se rencontre en matière de responsabilité décennale : l’expertise doit déterminer si la solidité de l’ouvrage ou d’une partie de l’ouvrage est compromise et doit donner les éléments objectifs permettant d’apprécier si l’ouvrage est rendu impropre à sa destination.

Lors d’une expertise ordonnée dans le cadre d’un désordre déclaré à un assureur tous risques chantier, les constatations de l’expert construction doivent notamment permettre de qualifier le caractère accidentel de l’apparition des désordres, et, dans ce cas comme dans bien d’autres, les circonstances de leur apparition.

1.2.4- Obtenir les premiers éléments du diagnostic

Si le plus souvent on peut qualifier le désordre sans en connaître les causes car son degré de gravité ne fait aucun doute, il n’en reste pas moins vrai qu’en procédant aux constatations, on pense déjà au processus d’apparition du désordre, donc au diagnostic.

L’assureur dommages-ouvrage qui doit se prononcer avant toute recherche de responsabilité a tout de même besoin de savoir s’il n’y a pas, à l’origine du désordre, une cause étrangère, dont on sait qu’elle exclut la garantie du contrat dommage-ouvrage et exonère les constructeurs de leur responsabilité. Il est  donc du plus grand intérêt, à ce stade de l’expertise, d’avoir déjà une idée assez précise des causes du désordre.

L’extrême sévérité de la loi à l’égard de l’assureur dommages-ouvrage du point de vue du respect du délai imposé pour la prise de position sur la garantie, peut conduire à de grandes difficultés lorsqu’il y a doute sur le fait que le dommage trouve son origine au sein de l’ouvrage et non pas à l’extérieur.

La lenteur n’étant plus un défaut que les tribunaux peuvent raisonnablement reprocher au régime d’indemnisation de l’assurance construction, l’expert construction peut rêver d’un assouplissement de la loi qui lui donnerait plus de temps et plus de moyens pour mener à bien ses investigations chaque fois qu’elles seront déterminantes pour juger de l’application des garanties du contrat, et pour exploiter mieux encore toutes les possibilités de faire aboutir les dossiers dans un cadre amiable.

2 - Les conditions des constatationS

2.2– Le contradictoire dans les constatations

Les constatations constituent la phase de l’expertise où le respect du contradictoire revêt la plus grande importance.

Dans l’hypothèse, fréquente, où l’expertise constitue l’un des éléments permettant de répondre à une réclamation, il est essentiel que tous ceux qui seront les débiteurs de cette réclamation aient pu constater la matérialité de ce qui la motive.

Ainsi, l’expertise qui a pour objet de donner une solution à un dommage ou à un désordre touchant une construction et susceptible d’engager la responsabilité des constructeurs, doit commencer par des constatations réalisées contradictoirement en présence du maître d’ouvrage et des constructeurs pour permettre au premier de vérifier des conditions dans lesquelles les constatations ont eu lieu, et aux seconds de faire  part de leurs observations.

Il est essentiel de rappeler qu’aucune convention de règlement de sinistre ou d’expertise pour compte commun signée entre des assureurs ne dispense l’expert construction de respecter le contradictoire à l’égard de ceux qui ne sont pas signataires de la convention, et notamment des assurés.

Ce principe, régulièrement rappelé aux expert construction par les assureurs qui les désignent, se matérialise par la convocation des constructeurs, par leur consultation pour avis et par le fait qu’ils sont destinataires des rapports.

A l’issue des constatations, et s’il n’a pas pris connaissance de tous les éléments matériels, l’expert construction indique aux participants à l’expertise que ses constatations sont achevées. En cas d’absence de contestation, il permet ainsi au maître d’ouvrage de procéder aux premiers travaux nécessaires et éventuellement aux mesures conservatoires.

2.3- -Les limites des constatations

Les constatations consistent à examiner non seulement l’ouvrage ou la partie d’ouvrage qui fait l’objet de l’expertise, mais également l’environnement de cet ouvrage s’il est susceptible d’avoir une incidence sur le problème posé.

L’expert construction auquel il est demandé un avis sur une déformation de plancher serait incapable de donner les conclusions s’il se limitait à l'examen des solives et des poutres, sans examiner les charges (cloisons, équipements, charges d’exploitation, etc.) qui sont supportées par le plancher ni étudier le comportement des ouvrages environnants pour tenter de dater le phénomène observé et donner un avis sur son évolution.

En revanche, les constatations doivent impérativement se limiter au cadre de la mission de l’expert construction qui ne peut s’ "auto-missionner" en examinant des ouvrages qui sont sans rapport avec l’objet de sa mission.

2.4– Le devoir de conseil

Cette limitation des constatations de l’expert construction accepte une exception résultant du devoir de conseil qui s’impose à l’expert lorsqu’il constate, en marge de son expertise, un élément qui porte atteinte à la sécurité des personnes.

EXEMPLE

Alors que sa mission est de rechercher des origines d’infiltration par les balcons, l’expert construction constate que les scellements des garde-corps présentent un risque certain du point de vue de leur solidité. La sécurité des personnes étant compromise, l’expert construction doit en informer immédiatement les occupants et le gardien de l’ouvrage par tout moyen approprié, et en indiquant précisément quelle est la nature du risque et quel en est l’origine.

Ainsi l’expert construction qui se contenterait d’attendre la rédaction de son rapport pour dire que les balcons sont dangereux, sans en préciser la raison, ne répondrait pas à son devoir de conseil à l’égard des occupants, et risquerait de surcroit de ne pas être crédible compte-tenu du retard avec lequel il aurait signalé de danger.

 

JB